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Archive for the ‘Comptes rendus’ Category

Robe longue en coton délavé, chaussettes dans les sandales à talons et cheveux mollement rattachés à un élastique invisible, Josephine Foster n’attend pas que la salle se taise pour commencer à chanter « No One’s Calling Your Name » d’une voix traînante, nasillarde, et pourtant incroyablement mélodieuse. Tout de suite, ce qui me frappe, c’est à quel point cette voix qui surgit de derrière la masse agglutinée devant la petite scène du Chinois, à Montreuil, ressemble en tout point à la voix que j’ai écoutée pendant des mois sur ma platine dans I’m A Dreamer (Fire Records). Aucun effet de post-production n’est venu l’altérer ; c’est comme si elle avait été transférée directement depuis mes enceintes jusque sur la scène. Petite, je me faufile au milieu de la foule, composée moitié de fans moitié de découvreurs venus en réalité écouter le deuxième groupe, Arlt, un duo français accompagné ce soir par le guitariste expérimental Thomas Bonvalet (Cheval de frise). Pour une fois les paroles en français passent bien chez ces rockeurs à la musique lancinante et un brin répétitive, mais ils n’ont pas la tension funambule de Josephine Foster.

Cette dernière est inexplicablement peu connue. Elle a sorti au moins une dizaine d’albums et tourne dans le monde entier, et même certains des plus mélomanes d’entre nous n’en ont jamais entendu parler. Peut-être est-ce du à sa silhouette fantomatique, presque maladive, étrange mélange d’ouverture et de fermeture, qui pose des questions, curieuse, mais a le regard fuyant et le menton tourné vers le bas. Bizarre d’ailleurs de chanter assise, la guitare contre soi, et le visage tourné en-dedans, sans presque regarder son public. C’est comme si sa voix venait du haut de sa tête et non de son ventre ; elle résonne dans l’antichambre des yeux et du nez, et ce qui sort finalement de sa bouche et s’offre à nos oreilles n’en est qu’une infime partie. C’est cette voix qui hypnotise le public : infiniment claire et en même temps rentrée en soi, pure et rocailleuse à la fois, personne ne chante comme Josephine Foster.

Samedi, Victor Herrero et Gyða Valtýsdóttir (Gyda Valtysdottir) sont venus la rejoindre, lui à la guitare portugaise, elle au violoncelle. Le trio fabrique un écrin pour le scintillement pudique de Josephine, qui les invite du bout des lèvres sur la scène. Quand elle chante ou quand elle parle, elle ne remue presque pas les lèvres — c’est à croire qu’elle est ventriloque — mais curieusement son chant est aussi clair que son parler incompréhensible. Il vient certainement d’un paysage du fin fond des États-Unis, quelque part entre le Sud et l’Ouest, la montagne et la plaine. À trois, ils interprètent des morceaux qui prennent une dimension orchestrale grâce aux cordes, et échappent à l’imagerie folk du combo voix-guitare-harmonica. Mais c’est par un tube que le concert se termine, une chanson de l’un des premiers albums, « All I Wanted Was the Moon », que l’on trouve sur Youtube en bande-son du court-métrage de Méliès où des hommes envoient une fusée sur la lune, qui se la prend dans l’œil.

Écouter l’émission de radio de Pierre Lemarchand, That’s All Folk, consacrée à Josephine Foster.

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J’écris cet article dans la douceur du jour tombant, la fenêtre ouverte, le ciel bleu bientôt rose. Un voisin écoute Neil Young, l’harmonica berce mes mots. La vie continue, tranquille, après un WEEK-END DU FEU DE DIEU QUI DÉCHIRE SA RACE QU’ON N’OUBLIERA JAMAIS ET QU’ON ARRÊTE PAS DE SOURIRE APRÈS COMME UNE DÉBILE PENDANT DES JOURS. « Old man take a look at my life, I’m a lot like youuuu… »

zornMarc Ribot et John Zorn © crissxcross

Samedi 7 septembre 15h45. Je suis bloquée dans un embouteillage sur le périphérique. Il n’y a plus de mots pour décrire ce que je ressens. À 16h commence, à la Cité de la Musique, le concert du trio Illuminations avec Steve Gosling, Trevor Dunn et Kenny Wollesen. Je loupe le concert. C’est donc sur ce non-commencement que j’entame le Marathon John Zorn du festival Jazz à la Villette : 9 concerts (3×3), 27 musiciens, 9 heures. Avec des pauses pour respirer sur l’herbe du parc de la Villette ou pour faire la queue : pour la deuxième session, à 19h, la file des spectateurs fait littéralement le tour de la Grande Halle. Plusieurs milliers de personnes en tout assistent aux trois sessions, qui ont lieu dans trois endroits différents : la Cité de la Musique, cadre sérieux à l’acoustique parfaite pour le côté contemporain de l’œuvre de John Zorn, la Grande Halle salle Charlie Parker pour la deuxième, intermédiaire entre le mélodique easy listening et le judéo-rock, et la Nef du Sud de la Grande Halle pour la troisième, où tout le monde est debout, décoiffé par les grondements de Mike Patton et la guitare magique de Marc Ribot. La progression de l’ensemble, très pensé, semble partir d’une certaine horizontalité pour s’ouvrir peu à peu, se verticaliser de plus en plus, et arracher des hurlements de groupie aux chevelus passés par là.

Du côté du public, c’est pareil, ça se verticalise de plus en plus. À 16h on est coincé dans un fauteuil, à 23 on est debout à boire des mauvaises bières ou du mauvais rosé — le bar, parlons-en ! — en tendant le cou le plus possible pour apercevoir le brushing parfait de Mike Patton, le seul qui signera ensuite des autographes aux jeunes filles alcoolisées qui tenteront de le suivre avant de se faire éjecter par un manager aussi inflexible qu’épuisé. Pendant ce temps-là, John Zorn, 60 ans (c’est son marathon d’anniversaire), T-shirt hébraïque rouge et treillis moche, sourit comme un gamin. Derrière des grosses lunettes empruntées à la costumière de Retour vers le futur, il dirige son monde avec autorité/tarisme. Une indication de manquée parce qu’on regardait son instrument, et on récolte un regard mauvais et accusateur. Quand on est dans l’orchestre de John Zorn, il faut : regarder John Zorn, la partition, John Zorn, ses mains, John Zorn, et tout ça en même temps. C’est de l’improvisation dirigée : un signe à Joey Baron (batterie), il prend un solo, un autre à Trevor Dunn (basse), il lance la rythmique sur un tempo rapide, un autre encore à Jamie Saft (piano), il accompagne discrètement. Il y a une espèce de fusion organique entre les musiciens et la musique — sauf John Medeski, un peu léger par rapport aux autres, comme une pièce rapportée — qui donne l’impression qu’ils sont faits pour elle et qu’elle est faite pour eux. C’est évidemment parce que Zorn écrit pour des personnalités et non pour des instruments, comme d’autres grands compositeurs et directeurs d’orchestre (Andy Emler par exemple).

À l’intérieur du système qu’il s’est construit et qui tourne entièrement autour de lui, Zorn est comme un poisson dans l’eau, et donne libre cours à ses talents d’entertainer. Il sait faire monter la sauce, et rappelle quelqu’un comme Thomas de Pourquery, dans sa maîtrise totale de la dynamique musicale qui permet au public de devenir complètement fou. La progression du marathon, pour ceux qui l’ont vu en entier, tient de l’extraordinaire. On ne se lasse pas ; on est content que ça se termine à un moment, mais on ne se lasse pas. J’ai même écouté de la musique aujourd’hui, alors que je pensais en avoir assez pour au moins quinze jours. Rien ne se ressemble mais tout a un air de famille. Entre les groupes qui s’approprient une musique écrite, comme les chanteuses lyriques de The Holy Visions ou le quatuor The Alchemist, et ceux qui improvisent en réactualisant sans fin le son qui fait la Radical Jewish Culture, il y a la parenté des mélodies délicates et d’une mégalomanie qui aspire tout dans son giron. C’est peut-être la deuxième partie, la plus équilibrée, qui se dégage du lot. Elle comprend The Concealed, Acoustic Masada, The Dreamers, avec en vrac et selon les groupes Mark Feldman, Erik Friedlander, Dave Douglas, Kenny Wollesen, Marc Ribot, Cyro Batista, Greg Cohen… Ce all stars donnerait le vertige s’il n’était canalisé par une écriture ciselée et radioactive, qui concentre les talents pour mieux les recracher à la face du monde, réorganisés et re-sculptés pour nos petites oreilles frétillantes.

Au milieu de tout ça, Zorn lui-même joue du saxophone, en gardant d’un groupe à l’autre sa patte stridente, hyperactive, pressée par une urgence invisible. Il inverse les deux dernières formations de la journée : Moonchild-Templars : In Sacred Blood passe avant Electric Masada. Mike Patton y chante/crie/profère des incantations en latin pour impressionner le bas peuple et attirer une foule de trash-néo-gothiques et d’amateurs de jazz qui aiment bien se nettoyer les oreilles de temps en temps. Personnellement, le coton tige sonore n’est pas ce qui me plaît le plus, mais je comprends qu’on puisse en aimer les sensations fortes. Quand Electric Masada commence, ça fait 8h que j’écoute de la musique, j’ai mis des bouchons et j’ai envie de m’allonger. Malgré tout, ça marche, et je me retrouve au milieu de la foule, avide de rappel. Joey Baron et Kenny Wollesen jouent tous les deux de la batterie, Marc Ribot envoie un son de guitare énorme, Trevor Dunn casse la baraque à la basse électrique, Jamie Saft balance sa barbe XXL et Cyro Baptista (percussions) et Ikue Mori (effets électroniques) décorent tout ça d’objets incongrus. Une tornade qui arrache tout sur son passage.

Bizarrement, on n’échappe pas aux paillettes de l’industrie : The Song Project, présenté en début de soirée, est une sorte de mélange entre une B.O. Disney et un tube de Garou — avec juste un morceau de Naked City pour la fausse joie. Mike Patton nous montre qu’il sait aussi chanter, Sofia Rei fait de la figuration et Jesse Harris, grand songwriter devant l’éternel (et dans le genre il est très bon), est la caution business-hipster-NewYork, inutile pour un public européen tout à fait déconcerté. Mais… pourquoi ? Parfois, il faut savoir dire : laisse, ce sont des Américains, on ne peut pas comprendre.

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De l’autre côté du miroir

Après une création l’année dernière à la Dynamo de Banlieues Bleues, le groupe franco-anglais Tweedle-Dee, l’un des derniers-nés du collectif Coax, donnait un concert de sortie de disque le 2 mai 2013 au Studio de l’Ermitage. En première partie, un duo du collectif rouennais des Vibrants Défricheurs : Petite vengeance.

tweedleDifficile de demeurer indifférent face à n’importe quelle production du collectif Coax. Très présent sur les scènes jazz et actuelles, soutenu par les institutions, il héberge une petite vingtaine de formations qui ont en commun une recherche sur le son comme matière, un refus plus ou moins radical de la narration et une esthétique un peu garage, un peu punk, un peu noise, selon les groupes. Beaucoup de traitements électroniques, de transformations et de saturations traversent ces musiques, qui se sont choisi ce nom ironique : « coax » signifie « amadouer, cajoler » en anglais. Et pourtant, c’est bien une forme d’hypnose enjôleuse qui s’est produite ce 2 mai au Studio de l’Ermitage. Contrairement à Radiation 10 qui, lors d’un concert dans la même salle en décembre, fonctionnait par déplacements de la matière et mouvements organiques, Tweedle-Dee commence par détruire toute attente avant d’en reconstruire d’autres — et c’est là qu’il faut se laisser faire.

Après un premier morceau en forme de nettoyage à l’eau de javel où les voix se superposent les unes aux autres pour former une cacophonie harmonieuse, sorte de cascade où chaque jet d’eau tombe à un rythme différent mais où tous arrivent finalement en même temps en bas, le deuxième morceau repart sur de nouvelles bases. Nous voilà embarqués dans un tissu englobant, une ouate sonore où chaque micro-événement ouvre une fenêtre différente. L’esprit divague, flotte parmi mille préoccupations étrangères à la musique, et pourtant portées par elle. Je renonce assez vite à distinguer entre les musiciens tant c’est l’ensemble qui crée la dynamique — les quelques moments d’improvisation solistes sont presque malvenues, car ils nous arrachent à notre torpeur. J’allais écrire « douce torpeur » mais je me suis ravisée : elle n’a rien de doux, cette torpeur, elle serait même un peu violente. Elle déplace les lignes, elle fait ressurgir l’enfoui, elle endort pour mieux réveiller.

Les morceaux apparaissent inégaux : le retour parfois de la superposition de plaques tectoniques, à la façon du premier morceau, casse complètement le nuage ouaté, et certaines utilisations de l’électronique en font un peu trop — c’est trop fort notamment, comme souvent. Mais veut-on rester dans l’hypnose tout un concert ? Tweedle-Dee ne préfère pas, et pourquoi pas.

Robin Fincker : saxophone ténor, clarinette
Julien Desprez : guitare
Alex Bonney : trompette, laptop
Fidel Fourneyron : trombone, tuba
Kit Downes : orgue
Dave Kane : contrebasse
Yann Joussein : batterie

Avant Tweedle-Dee, une sucrerie : Petite vengeance, le duo vibrant de Raphaël Quenehen et Jérémie Piazza. Où le batteur fait en même temps de la guitare et le saxophoniste parle dans son instrument. C’est très fragile, toujours sur le fil, avec des silences… mais c’est drôle, bien vu, bourré d’idées. Ça voyage en Amérique, de la country à la parodie. Et puis ça chante, avec les instruments, de petites mélodies ciselées, joyaux de simplicité efficace. Miam.

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Un fauteuil, un micro, un violon, un ordinateur, un carnet sur un pupitre et des dizaines de bougies disposées au sol : Laurie Anderson est venue à Paris nous raconter des histoires de sa vie.

Pendant presque deux heures, Laurie Anderson, mère de la musique électronique expérimentale, amoureuse des ordinateurs, tripoteuse de boutons et conductrice d’électricité sonore depuis les années 70, nous a raconté des histoires. Des histoires de sa vie, des anecdotes, des expériences, des voyages et des reconnaissances.

Elle a travaillé dans un McDonald’s pour comprendre le monde de la production industrielle de l’intérieur et a vu ce que ça faisait de donner aux gens exactement ce qu’ils veulent. Elle est partie à l’Ouest des Etats-Unis avec sa chienne se promener dix jours pour voir s’il était possible de communiquer avec elle. La chienne, dressée pour cela, surveillait constamment les alentours pendant les ballades jusqu’à ce que des vautours tournoient au-dessus d’elle et qu’elle réalise que le danger pouvait aussi venir du ciel. Alors, elle a commencé à marcher la tête levée, inquiète — de la même façon que les new yorkais, après le 11 septembre, levaient constamment les yeux vers les airs, ayant réalisé, eux aussi, que le danger pouvait venir d’en haut. Laurie Anderson a raconté un voyage en canoë dans l’Utah en compagnie d’un groupe insupportable de control freaks fanatiques de « Mother Nature », qui se sont avérés être des victimes d’incestes. Elle a raconté d’autres histoires encore, plus ou moins anecdotiques dans le style leçon de vie, mais toujours poétiques dans la forme.

D’une voix paisible, elle dit les mots en musique, s’accompagnant elle-même au violon et aux effets électroniques, lançant parfois un beat pop qui s’arrête presque aussitôt, comme une pique éphémère. Les sons sont répétitifs, planants, attendus quand on la connaît. Des aplats sonores flottent entre les mots, dont certains sont détachés du reste, souvent en fin de phrase. On baigne dans une buée rêveuse accentuée par la lumière des bougies et le lent dépliement des histoires. On ferme les yeux, on les rouvre, on a loupé un passage, aucune importance. « L’histoire est un ange qui regarde vers le passé. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. » Laurie Anderson, elle, ralentit le temps voire nous en fait sortir, un instant. Elle pourrait continuer à parler comme ça, pendant des heures, et nous pourrions continuer à écouter, somnolant, hypnotisés, engourdis. Paisibles.

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Dans le cadre d’une carte blanche de la Cité de la Musique à Laurie Anderson, Antony and the Johnsons étaient programmés mercredi 6 mars salle Pleyel. Si Antony était le même que d’habitude, les Johnsons avaient changé, et Laurie Anderson et Lou Reed sont venus nous rendre visite.

Dans ce genre de concert-événement, il y a les fans, ceux qui connaissent toutes les chansons par cœur et qui ont acheté leur billet il y a six mois, et ceux qui se sont retrouvés là un peu par hasard, grâce à un ami ou un désistement, et qui connaît vaguement le nom du chanteur et a récemment réalisé que c’était quelqu’un de connu. Je faisais partie de la seconde catégorie, mais bon, si c’est Laurie Anderson qui fait le programme, ça doit pas être dégueu (CocoRosie ensuite !). Et de fait, c’était pas dégueu.

Longue robe noire, cheveux noirs et lisses tombant sur les épaules, Antony Hegarty entre en scène après ses musiciens d’un soir. La formation est unique, un one-shot intitulé « She’s So Blue » — ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais vraiment rien. Sous la direction du trompettiste Steve Bernstein, Douglas Wieselman (membre régulier des Johnsons) et Renaud Gabriel Pion se partageaient les soufflants (clarinette, saxophones, cor anglais, flûte), Julian Joseph jouait du piano et de l’orgue, Leo Abrahams de la guitare, Bradley Jones de la basse et Kenny Wollesen (The Dreamers John Zorn, Love Trio Ilhan Ersahin) de la batterie et du vibraphone. Antony, régnant sur tout le monde, s’accompagnait parfois lui-même au piano, notamment sur les tubes « You Are My Sister » ou « Hope There’s Someone ». Pour quelqu’un qui connaît mal son répertoire, ce ne sont pas les tubes la partie la plus savoureuse, mais les reprises et les standards de gospel comme « A Child of God (It’s Hard to Believe) » — définitivement la plus belle chanson de la soirée — et « Sometimes I Feel Like A Motherless Child », qu’il interprète après un discours sur les homosexuels et les personnes transgenres. À travers ces quelques paroles féministes en préambule, les orphelins de la spiritual song deviennent ceux de la société.

Antony Hegarty a le don de vous procurer des frissons même sur les morceaux les plus rebattus : « I Will Survive » en est la preuve la plus surprenante, une chanson qu’ils s’excuse de chanter juste avant avec une certaine malice, la première qu’il ait jamais interprétée dans un club. On reconnaît les paroles, la mélodie, mais pas la chanson : elle est métamorphosée en un poème, que l’on relie inévitablement au discours sur les personnes transgenres. Derrière, les musiciens construisent une énergie gagnante : montées en puissance qui arrachent des larmes à la moitié de la salle tandis que la voix se fait lyrique, ou ambiance cotonneuse au toucher léger et délicat. Le groupe fabrique une bulle d’émotion qui prend toute la salle : au rappel, on se lève instantanément et on reste debout pour fredonner le « mmmh » qu’il nous a demandé, tandis qu’il surfe par dessus avec une facilité déconcertante.

Mais ce sont les apparitions de Laurie Anderson et Lou Reed qui auraient pu me faire crier comme toute groupie qui se respecte, si nous n’avions pas été dans la très chic salle Pleyel : elle sur un morceau au violon à la moitié du concert, lui en rappel. Identique à lui-même, la voix rocailleuse, Lou Reed dit-chante un texte bientôt sous-tendu par Antony : la juxtaposition des deux personnages est un véritable oxymore : la haute et sombre silhouette d’Antony à côté de celle de Lou Reed, petit, ridé, lunettes, un look d’Indiana Jones de la musique, si calme et en même temps la voix si trouble. Par comparaison, celle d’Antony est étonnamment posée, le grain lisse et assuré. Ce serait presque une rencontre entre le passé et le présent si Lou Reed et Laurie Anderson n’étaient aussi attachés au fait de vivre avec leur temps. Plusieurs fois déjà ils ont collaboré avec Antony Hegarty qui, derrière sa fragilité, est d’une grande force et sait manifestement parfaitement ce qu’il veut. On attend maintenant la clôture de la carte blanche avec Laurie Anderson en solo, samedi 9 à la Cité de la Musique.

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Les couleurs du Caravage en musique électro-acoustique et progressive.

caravaggio2Le Triton était plein à craquer mercredi 6 février pour écouter Caravaggio, un groupe découvert au même endroit il y a quelques années. Les réserves de 2009 ne tiennent plus : plus question de froideur ni d’une cérébralité musicale encombrante. Au contraire, Benjamin de La Fuente (violon, guitare), Bruno Chevillon (basse), Samuel Sighicelli (orgue Hammond) et Eric Echampard (batterie) ont développé leur spectacle en même temps que leur son. Les morceaux joués ce soir ont été enregistrés par Gérard De Haro — également présent en tant qu’ingénieur du son et cinquième musicien pendant le concert — sur le label La Buissonne dans : Caravaggio #2. Sur la pochette, des habits de cosmonaute et d’ouvrier, étiquetés, attendent, suspendus entre le dernier moment où ils ont été portés et leur prochaine utilisation. De même, entre chaque concert, le groupe évolue et affine un peu plus son discours. Aujourd’hui, il est arrivé sur les terres d’un rock progressif propre, c’est-à-dire qui porte son attention à la matière sonore, et respire comme un organisme vivant pendant toute la performance. Le mariage de l’électro-acoustique et d’une filiation qui remonte à King Crimson et au Velvet Underground, c’est Caravaggio.

Pendant les inspirations de cet organisme vivant, de longues montées en puissance amplifiées électrisent les corps — il n’est que de voir l’enthousiasme du public —, l’improvisation du synthé et de la guitare reposant sur un sous-texte écrit, tandis que pendant ses expirations, on entre dans un univers franchement « Dark » (c’est le titre de l’un des morceaux), fait de cliquetis métalliques jetés ça et là dans un silence construit. Chacun des musiciens travaille son propre son en temps réel avec des pads et d’autres machines — il vaut mieux être sensible aux sonorités électroniques pour apprécier un tel concert, et avoir une certaine tendresse pour le synthé — et porte avec lui le bagage d’une vie : improvisation, jazz, musique contemporaine, groove (merveilleux Bruno Chevillon à la basse électrique !) … Tout cela est digéré par le ventre omnipotent de l’animal Caravaggio.

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Musiques, improvisations, performances et installations à Marseille les 17-18-19 et 20 octobre 2012 : première édition riche et singulière du festival marseillais les Émouvantes, à l’initiative du label de musiques improvisées Émouvance.

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Alors que les préparatifs ambitieux de Marseille pour devenir la capitale culturelle européenne en 2013 arrivent à terme, les lieux de culture historiques continuent d’accueillir et de diffuser des arts peu visibles. Concert mis en lumière et en espace, performance, improvisation, musiques troublantes : à la Friche de la Belle de Mai, le programme des Émouvantes cultive, comme le label Émouvance, fondé il y a 18 ans par Claude Tchamitchian (photo Hélène Collon), l’indépendance et la pluralité à travers des propositions remarquables, toutes nées d’une idée musicale, déclinée ou non au moyen d’autres médiums, théâtraux, visuels ou corporels.

Ancienne usine de la SEITA, la Friche de la Belle de Mai a donné le nom du Service d’Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes à la salle qui accueille le festival. Difficile de trouver un lieu dans la cité phocéenne, aussi le tout jeune festival était plutôt reconnaissant. On accède à la salle en suivant les flèches, comme dans les jeux de piste de l’enfance ; quelques marches et nous voilà dans la salle Seita, qui a tout du cabaret. Rouge et chaleureuse, elle est habillée par l’exposition insolite de la Nantaise Claire Salmon Legagneur, Face à face, Double face, sept installations aussi poétiques qu’un inventaire à la Prévert, du tapis à la boîte, qui explorent en lumière la matière (tissu, bois, plastique, objets de récupération) et le relief.

Politique des arts

Le 17 octobre, une discussion entre Claude Tchamitchian et Anne Montaron ouvre le festival. Productrice à Radio France de la précieuse émission À l’improviste , cette dernière réveille les esprits d’une voix ferme et musicale. Émouvance est une forme de résistance : défense des cultures orales dans leur diversité face à l’hégémonie de l’écrit, diffusion de spectacles pluridisciplinaires, qui peinent à cause de leur forme à trouver des acheteurs (théâtre ? musique ? danse ?), alors que le propos est précisément d’abattre les murs tant qu’il y en aura encore, promotion enfin d’une vision du monde qui refuse de sacrifier au rendement et au tout préparé, qui exige d’elle-même une recherche artistique et fait confiance aux spectateurs pour ouvrir les sens. Claude Tchamitchian répond aux questions d’Anne Montaron devant un public convaincu mais silencieux. Installés près de l’entrée, les Allumés du Jazz tendent l’oreille. Ils sont venus avec des disques et des livres qui rappellent la multiplicité des associations, labels, structures qui existent et résistent. Le contrebassiste joint le geste à la parole, et quelques notes improvisées autour de son dernier album solo, Another Childhood, clôturent la soirée.

Lire la suite sur Citizen Jazz.

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« Le Silence de l’Exode relate la sortie d’Égypte et les longues années d’errance du peuple juif dans le désert du Sinaï : des milliers d’hommes dans un no man’s land, des dizaines d’années sans temps qui passe, des milliers de kilomètres parcourus comme sur place… »

© Framboise Esteban

Ça, c’est le pitch du site de Yom. Très concrètement, l’exode, c’est le trajet interminable vers le fin fond du XVIè arrondissement vers la synagogue Copernic en plein mois de novembre. Encore au-delà de la place de l’Etoile, il y a de la vie ; entre deux magasins Chanel et Prada, on trouve même un Monoprix. D’ailleurs, les prix y sont bien moindres que dans les supermarchés des quartiers populaires, un mystère qui reste à élucider. À la place Victor Hugo, tournez à droite, et vous voilà dans la file d’attente pour entrer dans la synagogue où jouent ce soir le clarinettiste Yom, dont on connaît déjà les talents, avec le programme Le Silence de l’Exode : Farid D. au violoncelle, Claude Tchamitchian à la contrebasse et Bijan Chemirani au zarb, daf et bendir, c’est-à-dire aux percussions iraniennes.

File d’attente, parce qu’entre la fouille à l’entrée et la panique des organisateurs, ça va pas vite. Une synagogue, ou l’endroit le moins adapté au monde pour accueillir un concert et le public profane qui va avec. On doit même ouvrir son manteau et montrer ce qu’il y a dessous au vigile, au cas où notre pull ne serait pas conforme : « Ah… pull à carreaux… désolé mademoiselle, ça va pas être possible. » Heureusement, j’avais un pull uni, et j’ai pu m’asseoir sur un banc en bois inconfortable dans le coin inférieur gauche de la salle. En clair : je ne voyais pas grand chose, et j’entendais mal. Symboliquement, l’endroit est formidable, mais en pratique ça va pas du tout. Toutes les parties solo de violoncelle par exemple m’ont échappées. Mais bon, j’ai quand même assisté au concert, et suffisamment tendu l’oreille pour percevoir l’émotion qu’il y a dans cette musique : cette mélancolie de l’exil que l’on retrouve dans nombre de musique, juives ou pas juives. Quelque chose qui traverse les rythmes lancinants de l’Orient comme les anciennes voix de blues ou le duduk arménien. On y est, dans le fil de l’Histoire, dans le souvenir et dans l’avenir, dans la mémoire des cellules. Celle de Yom est judaïque, d’autres sont noires ou tziganes, qu’importe. L’Iran et l’Arménie sont conviés sur le plateau pour créer un flux sonore dont le mouvement est un. Le klezmer de la clarinette se fond dans l’orientalisme des percussions. Et nous, on se laisse porter le long de cette route sonore.

* * *

– Un extrait (chiche) du concert sur Youtube.

– La vidéo de la création à la Dynamo de Banlieues Bleues (moins chiche).

– Des morceaux en écoute sur le site de Yom (pas chiches du tout).

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Vous avez vu Mulholland Drive ? Vous n’avez rien compris et avez ensuite cherché des interprétations sur Internet ? Vous faites semblant de penser que David Lynch est un réalisateur ex-cep-tion-nel alors que vous préférez regarder tranquillement Papy fait de la résistance avec Popol sur les genoux ? Ce post est fait pour vous.

Il y a des moments dans la vie où tout ce qu’on cultive depuis des années : la force, l’indépendance, le féminisme, le je-m’en-fous-du-regard-des-autres, tombe tout d’un coup, à cause d’un détail invisible pour l’entourage, entièrement à l’eau. Et on se retrouve à stresser sur le choix de ses chaussures vingt mètres avant l’entrée du dit-détail, alors que d’habitude les chaussures ça sert juste à ne pas attraper froid. C’est finalement en talons rouges — moi qui ne porte jamais de talons — que je me suis retrouvée devant un immense type à lunettes : « Vous êtes sur la liste ? » — Euh… oui… enfin euh… je crois.

David Lynch a ouvert un club à Paris il y a quelques mois, le Silencio, d’après le club de Mulholland Drive. En fait, à part le cadre de scène et les rideaux rouges, c’est juste un club pour riches. D’abord, la descente de marches interminables donne l’impression de s’enfoncer dans le métro, à l’arrivée un écran plasma où une jeune femme regarde les visiteurs l’air absent. C’est le film d’accueil, qui précède l’accueil en vrai : une autre jeune femme, en chair et en os celle-ci, vérifie une seconde fois que je suis bien sur la liste. On sait jamais, des fois que des gueux anonymes auraient réussi à pénétrer dans le saint des saints en trompant Cerbère. Et me voilà dans le club proprement dit, à savoir : une succession de petits salons, de couloirs et de bars design, aux murs dorés et surtout, surtout, très — très — faiblement éclairés. Comprenez : on se prend des portes tout le temps. On ne voit rien. David Lynch est manifestement très sensible aux problèmes écologiques qui secouent la planète, d’ailleurs, pour aider les bébés phoques, la bière (Heineken – bouteille – sans verre) est à 10 euros. « Ah oui quand même », laisse-je échapper malgré moi, sous le regard méprisant de trois jeunes hommes munis de cocktails dont je n’ose même pas imaginer le prix.

Moi, manante, je m’installe sur un siège en forme de cercueil (what the f*** ??), vais fumer dans un patio noir décoré avec des faux troncs d’arbre et dont l’entrée est une vitre fumée, manque de me casser le nez, repère tout de même la caméra de surveillance, reviens dans mon cercueil, zut il est pris, ah ça y est le concert commence.

Les premiers coups de grosse caisse sont donnés avant même que les fameux rideaux n’aient commencé à s’ouvrir. Wax Poetic est dans la place, man — ça, c’est pour l’accent new yorkais, à pleurer de rire quand ils essayent de parler français. Ce soir, Ilhan Ersahin (claviers, saxophone), Gabriel Gordon (guitare acoustique, voix), Sissy Clemens (voix), Kenny Wollesen (batterie), Zeke Zima (guitare) et Tina Kristina (basse) jouent l’album sorti au début du mois, On A Ride, et le cinquième du groupe. Je connaissais déjà Istanbul, qui date d’il y a quelques années : de la drum & bass assez expérimentale, avec beaucoup de sons captés dans les rues de la ville. Quelle ne fut pas ma surprise à l’écoute de la dizaine de thèmes pop pur jus, bien lisses, bien propres, mais tout à fait efficaces — enfin pas suffisamment pour que les Français que nous sommes s’approchent spontanément de la scène. Il a fallu qu’ils nous le demandent — LE truc que les Américains ne comprennent pas, mais qu’est-ce qu’on peut bien foutre tassés au fond ? Personne ne sait.

J’écoute en écrivant l’album en question et, hélas, la postproduction a lissé les maigres aspérités que j’ai pu entendre hier soir. C’est voulu sans doute, mais pas nécessairement très heureux. De plus, plusieurs chanteurs et chanteuses sont invité(é)s sur le disque et absents sur scène, et vice versa. Certains manquent, comme Kenny Wollesen, dont la folie douce (à l’œuvre chez John Zorn ou Bill Frisell) aurait égayé l’enregistrement, et d’autres non, comme, au hasard, Norah Jones. Plus lisse, tu meurs. C’est dommage, parce que les mélodies sont belles et les musiciens excellents. Je cherche des influences possibles mais comme, de mon point de vue, la pop ça ressemble à tout, c’est difficile.

Néanmoins, Wax Poetic a l’immense mérite de se renouveler à chaque album : trip-hop, drum & bass, pop… Les musiciens vont et viennent entre les disques et les concerts autour du noyau dur Ilhan Ersahin – Gabriel Gordon. Si ce dernier est une belle découverte, je connaissais Ilhan Ersahin depuis Istanbul (lire l’article sur Citizen Jazz), où il retourne d’ailleurs aujourd’hui pour inaugurer son nouveau club, le Nublu, du nom de son label (sur lequel est sorti On The Ride) et de l’autre club, qui existe déjà à New York. Deux clubs exclusivement consacrés à la création contemporaine indépendante, dans tous les styles. Ça doit valoir le coup d’œil.

Au bout d’une petite heure, c’est déjà fini, et les applaudissements sont si faibles que la question du rappel ne se pose même pas. Mais n’allez pas croire que c’était par manque d’enthousiasme pour la musique, au contraire ! C’est une marque d’estime : plus on est riche, moins on donne. Peu de lumière, peu de morceaux, peu d’applaudissements. Logique.

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C’est la rentrée des classes, la rentrée littéraire et la rentrée du jazz, avec le festival Jazz à la Villette, rituel de septembre parisien.

La soirée d’ouverture était américaine, et les Français, pourtant nombreux à être programmés dans le festival, n’ont pas l’honneur de figurer sur l’affiche. Sur celle-ci, le fantôme multicolore du jazz hante la Villette et ses multiples lieux, Cabaret sauvage, Grande Halle, Cité de la Musique…, pour prouver au monde que « Jazz is not dead [it just smells funny] », selon la célèbre formule de Zappa. Cela fait maintenant un certain nombre d’années que Jazz à la Villette a prouvé que le jazz n’était pas mort, en faisant connaître les artistes mais aussi des lieux tels que l’Atelier du Plateau ou la Dynamo de Banlieues Bleues. La programmation est un savant mélange entre prises de risque (légères), mélange des genres et valeurs sûres. Échantillon non représentatif.

Le mélange des genres : l’ONJ et Magma.

Le premier, dont la direction artistique est assurée par Daniel Yvinec, s’échine à produire toutes sortes de relectures de toutes sortes de musique, de Robert Wyatt à Piazzolla en passant par Billie Holiday. Le seul programme original, Shut Up And Dance, a été composé par John Hollenbeck. Le fil conducteur de l’orchestre n’est constitué que par ses musiciens, tous excellents, tous impressionnants, et tous noyés dans la masse.

Le 30 août, c’était le programme Wyatt. Des reprises chantées par Wyatt lui-même mais aussi Yael Naïm, Daniel Darc (argh), Arno, Camille, etc, et arrangées par Vincent Artaud comme une sorte de compromis entre le jazz et la pop/rock. Certainement, quand on aime Wyatt, c’est mieux ; mais je comptais sur l’orchestration pour me convertir. Hélas, outre le fait que les voix étaient enregistrées, ce qui fige considérablement l’ensemble, les solistes, pourtant mis en valeur par un panneau annonceur à chaque début de morceau (bonne idée ? mauvaise idée ?), étaient quasi inaudibles tellement ils étaient couverts par une musique trop compliquée pour ce qu’elle voulait dire. N’arrivant jamais à trancher entre jazz et pop, l’ONJ s’enlise dans une sorte de compromis bâtard où l’on ne comprend pas bien ce que les solos font là si ce n’est qu’ils semblent se porter caution du fait que ceci est bien un orchestre de jazz. À la fin, nous revoilà de plain-pied dans la chanson, et la montagne a accouché d’une souris. On profite bien mieux des merveilleux musiciens qui composent cet orchestre ailleurs, dans leurs propres projets.

Mais la plupart des gens étaient venus écouter Magma. La preuve : le nombre de T-shirts imprimés à l’effigie du groupe qui se baladent dans la salle. Ils veulent des panoplies cuirs de rockers/métalleux, du synthé, de la batterie et des lumières spectaculaires. Spectaculaire en effet que ce groupe soit capable de remplir une salle tant il cultive le ringard et recycle depuis 40 ans les mêmes inventions : le zeuhl, le logo, le chœur féminin, qui donne à l’ensemble des allures de rite incantatoire pour dieu gothico-païen. Le public est venu pour ça, et n’a pas l’air de se soucier outre mesure des opinions néo-nazies du leader Christian Vander. De toute façon, comme disait Woody Allen à propos de Wagner, Magma ça donne envie d’envahir la Pologne.

La valeur sûre : Bill Frisell.

Le lendemain, changement d’ambiance. On rejoint les culs serrés dans la grande salle de la Cité de la Musique, où personne ne bouge ni ne respire. La salle est tellement grande que j’en ai le vertige. Au loin, Bill Frisell a l’air de s’ennuyer ferme à jouer les tubes des Beatles — pardon, de John Lennon, « Imagine » est là pour se porter garante de l’affiche — sans invention aucune ou presque. On se demande bien pourquoi Bill Frisell joue du Lennon pendant tout un concert au lieu de jouer du Bill Frisell : une exposition Lennon en vue peut-être ? Heureusement que le batteur Kenny Wollesen est là pour insuffler un peu d’énergie dans tout ça, parce qu’après « Come Together », « Dear Prudence » et « Sexy Sadie », on a envie de hurler : les Beatles sont très bien là où ils sont, laissez-les tranquille, par pitié !

La prise de risque : Maja Ratkje et Poing + Jeanne Added

Samedi soir, direction la Dynamo de Banlieues Bleues à Pantin. Finie l’usine, bonjour la bière bio. La norvégienne Maja Ratkje chante les chansons de l’avant-garde allemande révolutionnaire des années 30, Brecht, Kurt Weill, Hanns Eisler, en compagnie du groupe revendicatif Poing. Hélas, pas de cabaret punk ici, mais un trio musette accordéon-contrebasse-batterie qui flirte avec le free. Je n’aime ni l’accordéon ni la musette. Maja Ratkje a une présence formidable, et elle donne très envie d’être vue dans d’autres contextes, mais l’ensemble me hérisse les poils. Je préfère largement la relecture de ces thèmes par Das Kapital (Edward Perraud, Hasse Poulsen, Daniel Erdmann), qui joue dans le même festival dimanche prochain, à l’Atelier du Plateau.

Heureusement, Jeanne Added a à nouveau soufflé un vent d’air frais sur la soirée. Je l’ai déjà vue plusieurs fois en solo, aussi m’attendais-je à un concert rôdé et fredonnable, écouté distraitement d’une oreille pendant qu’on sirote sa verveine — pas du tout ! Ça change, ça module, ça varie, ça va à contre-sens et puis ça revient, parfois, quand elle a envie. La voix est toujours au centre, accompagnée d’une basse minimaliste. Marielle Chatain est invitée à la rejoindre au saxophone basse puis au synthé et à la voix : on descend dans les graves avec bonheur, pour atteindre des profondeurs poético-punk. Punk, pas vraiment par le style, mais plus par l’attitude et le dénuement, total et volontaire.

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