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Posts Tagged ‘marathon’

J’écris cet article dans la douceur du jour tombant, la fenêtre ouverte, le ciel bleu bientôt rose. Un voisin écoute Neil Young, l’harmonica berce mes mots. La vie continue, tranquille, après un WEEK-END DU FEU DE DIEU QUI DÉCHIRE SA RACE QU’ON N’OUBLIERA JAMAIS ET QU’ON ARRÊTE PAS DE SOURIRE APRÈS COMME UNE DÉBILE PENDANT DES JOURS. « Old man take a look at my life, I’m a lot like youuuu… »

zornMarc Ribot et John Zorn © crissxcross

Samedi 7 septembre 15h45. Je suis bloquée dans un embouteillage sur le périphérique. Il n’y a plus de mots pour décrire ce que je ressens. À 16h commence, à la Cité de la Musique, le concert du trio Illuminations avec Steve Gosling, Trevor Dunn et Kenny Wollesen. Je loupe le concert. C’est donc sur ce non-commencement que j’entame le Marathon John Zorn du festival Jazz à la Villette : 9 concerts (3×3), 27 musiciens, 9 heures. Avec des pauses pour respirer sur l’herbe du parc de la Villette ou pour faire la queue : pour la deuxième session, à 19h, la file des spectateurs fait littéralement le tour de la Grande Halle. Plusieurs milliers de personnes en tout assistent aux trois sessions, qui ont lieu dans trois endroits différents : la Cité de la Musique, cadre sérieux à l’acoustique parfaite pour le côté contemporain de l’œuvre de John Zorn, la Grande Halle salle Charlie Parker pour la deuxième, intermédiaire entre le mélodique easy listening et le judéo-rock, et la Nef du Sud de la Grande Halle pour la troisième, où tout le monde est debout, décoiffé par les grondements de Mike Patton et la guitare magique de Marc Ribot. La progression de l’ensemble, très pensé, semble partir d’une certaine horizontalité pour s’ouvrir peu à peu, se verticaliser de plus en plus, et arracher des hurlements de groupie aux chevelus passés par là.

Du côté du public, c’est pareil, ça se verticalise de plus en plus. À 16h on est coincé dans un fauteuil, à 23 on est debout à boire des mauvaises bières ou du mauvais rosé — le bar, parlons-en ! — en tendant le cou le plus possible pour apercevoir le brushing parfait de Mike Patton, le seul qui signera ensuite des autographes aux jeunes filles alcoolisées qui tenteront de le suivre avant de se faire éjecter par un manager aussi inflexible qu’épuisé. Pendant ce temps-là, John Zorn, 60 ans (c’est son marathon d’anniversaire), T-shirt hébraïque rouge et treillis moche, sourit comme un gamin. Derrière des grosses lunettes empruntées à la costumière de Retour vers le futur, il dirige son monde avec autorité/tarisme. Une indication de manquée parce qu’on regardait son instrument, et on récolte un regard mauvais et accusateur. Quand on est dans l’orchestre de John Zorn, il faut : regarder John Zorn, la partition, John Zorn, ses mains, John Zorn, et tout ça en même temps. C’est de l’improvisation dirigée : un signe à Joey Baron (batterie), il prend un solo, un autre à Trevor Dunn (basse), il lance la rythmique sur un tempo rapide, un autre encore à Jamie Saft (piano), il accompagne discrètement. Il y a une espèce de fusion organique entre les musiciens et la musique — sauf John Medeski, un peu léger par rapport aux autres, comme une pièce rapportée — qui donne l’impression qu’ils sont faits pour elle et qu’elle est faite pour eux. C’est évidemment parce que Zorn écrit pour des personnalités et non pour des instruments, comme d’autres grands compositeurs et directeurs d’orchestre (Andy Emler par exemple).

À l’intérieur du système qu’il s’est construit et qui tourne entièrement autour de lui, Zorn est comme un poisson dans l’eau, et donne libre cours à ses talents d’entertainer. Il sait faire monter la sauce, et rappelle quelqu’un comme Thomas de Pourquery, dans sa maîtrise totale de la dynamique musicale qui permet au public de devenir complètement fou. La progression du marathon, pour ceux qui l’ont vu en entier, tient de l’extraordinaire. On ne se lasse pas ; on est content que ça se termine à un moment, mais on ne se lasse pas. J’ai même écouté de la musique aujourd’hui, alors que je pensais en avoir assez pour au moins quinze jours. Rien ne se ressemble mais tout a un air de famille. Entre les groupes qui s’approprient une musique écrite, comme les chanteuses lyriques de The Holy Visions ou le quatuor The Alchemist, et ceux qui improvisent en réactualisant sans fin le son qui fait la Radical Jewish Culture, il y a la parenté des mélodies délicates et d’une mégalomanie qui aspire tout dans son giron. C’est peut-être la deuxième partie, la plus équilibrée, qui se dégage du lot. Elle comprend The Concealed, Acoustic Masada, The Dreamers, avec en vrac et selon les groupes Mark Feldman, Erik Friedlander, Dave Douglas, Kenny Wollesen, Marc Ribot, Cyro Batista, Greg Cohen… Ce all stars donnerait le vertige s’il n’était canalisé par une écriture ciselée et radioactive, qui concentre les talents pour mieux les recracher à la face du monde, réorganisés et re-sculptés pour nos petites oreilles frétillantes.

Au milieu de tout ça, Zorn lui-même joue du saxophone, en gardant d’un groupe à l’autre sa patte stridente, hyperactive, pressée par une urgence invisible. Il inverse les deux dernières formations de la journée : Moonchild-Templars : In Sacred Blood passe avant Electric Masada. Mike Patton y chante/crie/profère des incantations en latin pour impressionner le bas peuple et attirer une foule de trash-néo-gothiques et d’amateurs de jazz qui aiment bien se nettoyer les oreilles de temps en temps. Personnellement, le coton tige sonore n’est pas ce qui me plaît le plus, mais je comprends qu’on puisse en aimer les sensations fortes. Quand Electric Masada commence, ça fait 8h que j’écoute de la musique, j’ai mis des bouchons et j’ai envie de m’allonger. Malgré tout, ça marche, et je me retrouve au milieu de la foule, avide de rappel. Joey Baron et Kenny Wollesen jouent tous les deux de la batterie, Marc Ribot envoie un son de guitare énorme, Trevor Dunn casse la baraque à la basse électrique, Jamie Saft balance sa barbe XXL et Cyro Baptista (percussions) et Ikue Mori (effets électroniques) décorent tout ça d’objets incongrus. Une tornade qui arrache tout sur son passage.

Bizarrement, on n’échappe pas aux paillettes de l’industrie : The Song Project, présenté en début de soirée, est une sorte de mélange entre une B.O. Disney et un tube de Garou — avec juste un morceau de Naked City pour la fausse joie. Mike Patton nous montre qu’il sait aussi chanter, Sofia Rei fait de la figuration et Jesse Harris, grand songwriter devant l’éternel (et dans le genre il est très bon), est la caution business-hipster-NewYork, inutile pour un public européen tout à fait déconcerté. Mais… pourquoi ? Parfois, il faut savoir dire : laisse, ce sont des Américains, on ne peut pas comprendre.

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