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Archive for the ‘Jazz et littérature’ Category

« Si on écrivait une pièce de théâtre ? a-t-il dit.
— Je n’y connais rien, à l’écriture théâtrale.
— C’est facile. Je commence. »
Il a décrit ma chambre sur la 23e Rue : les plaques d’immatriculation, les disques d’Hank Williams, l’agneau à bascule, le matelas par terre, puis a introduit son propre personnage, Slim Shadow.
Après quoi il a poussé la machine vers moi.
« À toi de jouer, Patti Lee. »
J’ai décidé d’appeler mon personnage Cavale. J’empruntais le nom à une écrivaine franco-algérienne, Albertine Sarrazin, qui, orpheline très jeune à l’instar de Genet, passait comme lui en un tour de main de la littérature au crime. […]
Sam [Shepard] avait raison. L’écriture de la pièce n’a pas été compliquée du tout. Nous nous racontions tout simplement des histoires. Les personnages, c’était nous, et nous avons encodé notre amour, notre imagination et nos imprudences dans Cowboy Mouth. Peut-être s’agissait-il moins d’une pièce que d’un rituel. […]
Dans l’histoire, la criminelle, c’est Cavale. Elle kidnappe Slim et le terre dans sa tanière. Les deux personnages s’aiment de se bagarrent. Ils créent un langage qui n’appartient qu’à eux, improvisent de la poésie. Au moment d’improviser une dispute en langage poétique, j’ai flanché.
« Je ne peux pas faire ça, j’ai dit. Je ne sais pas quoi dire.
— Dis n’importe quoi, a-t-il répliqué. Tu ne peux pas te planter quand tu improvises.
— Et si je fiche tout en l’air ? Si je bousille le rythme ?
— C’est impossible. C’est comme les percussions. Si tu rates une pulsation, tu crées un nouveau rythme. »
Avec cet échange simple, Sam m’a révélé le secret de l’improvisation, secret auquel j’ai eu recours toute ma vie.

Patti Smith, Just Kids, Denoël, 2010, pp. 257-259.

Une autre citation ici.

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Je passais dix années dans une étrange république.
Un jour j’ouvris les yeux et je me vis. Mon visage était laid. J’avais le rire faux, l’âme neurasthénique. Une main m’empoignait la poitrine, et la tordait. Ma vie, je la portais comme on porte un sac.
Je sus qu’il fallait fuir.
Je pris des autoroutes. Je traversai des mers, des fleuves et quatre continents. J’avançais vite et sans me retourner. Comme on s’évade après un meurtre. Parfois, je fus tentée de renoncer à ce voyage et revenir à mon sommeil abject. Mais jamais, cependant, je ne relâchais mon rythme. je voulais m’écarter d’un pays où les hommes s’éteignent à force de se soumettre.

Me voici parmi vous, après ma longue nuit.
Et revenue à moi.
À chacun je demande : avez-vous vu un homme ?
Je cherche un homme. Je cherche un homme avec des yeux pour voir, une langue pour jurer et par-dessous une âme.

Résultat d’une commande de France Culture pour le Festival d’Avignon en 2001, Contre est un texte écrit par Lydie Salvayre en vue d’une lecture musicale, aux côtés des guitaristes Serge Teyssot Gay et Marc Sens. Présenté en public, il existe maintenant sous la forme d’un livre-disque publié chez Verticales.

Contre est un texte d’engagement, qui s’écoute comme on écouterait une longue phrase de révolte, dite en un souffle, laissant celle qui la prononce essoufflée, comme après une course. « Je cherche un homme » ; « Je » cherche l’humanité, perdue au milieu d’une société corrompue et ravagée par la souffrance et la peur. S’il est possible qu’en live, ce texte souligné par les improvisations des guitares fasse l’effet d’un coup de massue, à la lecture, il paraît un peu généraliste. Sous couvert de dénonciation, on ne parle que « des hommes », de « ils », et d’un « je », sans qu’on sache à quoi correspondent ces pronoms. Car qui sont « les hommes » ? « Les hommes » n’existent pas, il n’y a que « des » hommes, multiples et uniques. On a l’impression qu’un « je » idyllique s’oppose à une masse de bêtes. Les quelques anecdotes racontées ci et là sont présentées comme représentatives d’un « nous » jamais défini.

Lydie Salvayre est psychiatre, aussi souvent dans ses textes transparaissent des opinions ou des constats qui semblent être nés dans le cabinet. « Je dois vous préciser que dans la république d’où je viens, se détester dans les familles est une coutume ancienne et toujours strictement observée. » S’il n’y avait que dans notre république ! Il y a la haine triste et la haine de pouvoir, et il me semble que l’on doit s’efforcer de les distinguer, aussi difficile cela soit-il.

De ce portrait des faiblesses humaines, on se demande comment on peut se relever. Contre ? Je veux bien, mais pour quoi ? Si les relations de pouvoir sont au fondement de notre organisation sociale, qu’est-ce qui pourrait bien la faire changer ? Rien.

Je crois que les relations de pouvoir sont effectivement maîtresses dans à peu près tous les domaines de la vie, mais je crois aussi, inexplicablement, qu’une certaine confiance en l’être humain est possible. Comme une sorte de flash de survie. Traduite par la musique, peut-être ? Serge Teyssot Gay et Marc Sens créent une ambiance sonore planante et liquide, jusqu’à la fin où le « contre » rallie enfin les instruments et relie les souffles. L’art comme résistance.

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These Foolish Things

« J’ai treize ou quatorze ans, peu d’argent en poche et, à Marseille, une cousine Elisabeth que j’accompagne un jour chez un disquaire. Elle veut s’acheter du Pat Boone, du Paul Anka, du Helen Shapiro, des choses comme ça, je suis mollement le mouvement.
Elle farfouille dans les bacs, je fais de même sans but précis et je tombe sur un 45 tours d’un homme nommé Thelonious Monk. Sur la pochette, cet homme est coiffé d’un béret basque. Ce disque, enregistré le 18 décembre 1952 avec Gary Mapp à la contrebasse et Max Roach à la batterie, contient quatre pièces intitulées « Trinkle tinkle », « Reflections », « Bemsha swing » et « These foolish things ». Je l’achète avec mon peu d’argent, je l’écoute. Je ne connaissais pratiquement rien à cette musique, jusqu’alors, mais je comprends aussitôt que j’ai découvert un trésor.
Considérant qu’en termes de droit celui qui trouve un trésor s’appelle son inventeur, j’ai plaisir à penser que je suis, juridiquement parlant, l’un des inventeurs du jazz moderne. »

Jean Echenoz

in Jazz en suite, sous la direction de Franck Ténot

Comme le billet précédent, ce texte est repris de l’ancienne version de ce blog, qui existe depuis sept ans maintenant ! À l’époque, on m’a dit : un blog sur le jazz ? Mais tu n’auras jamais assez à dire ! Par pur esprit de contradiction, j’ai publié 58 articles en un mois. Un blog sert autant à afficher et diffuser ses opinions qu’à les construire — et à les déconstruire. Merci à vous, mes lecteurs !

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Poète new yorkais né en 1946, Steve Dalachinsky a collaboré avec nombre de musiciens de jazz d’avant-garde, comme William Parker, Matthew Shipp, Roy Campbell, Mat Maneri… Son oeuvre ne parle pas spécialement de musique, mais sa forme en est imprégnée. Les lectures disponibles sur le net témoignent de la musicalité de sa parole (voir les vidéos de la page All About Jazz qui lui est consacrée), et ses rencontres avec le jazz sont multiples : il a récemment publié Reaching Into The Unknown (RogueArt, 2009) avec le photographe Jacques Bisceglia, qui met en regard photos et poèmes.

L’année précédente, c’est un dialogue avec Matthew Shipp qu’il publie chez RogueArt, Logos And Language, A Post-Jazz Metaphorical Dialogue. Ils éclairent la pratique musicale du pianiste à travers l’évocation d’une spiritualité universelle, et y juxtaposent des poèmes écrits à son écoute. Ce n’est pas la première fois que Steve Dalachinsky se met expressément en situation d’écoute pour écrire : en 2008, The Final Nite & Other Poems chez Ugly Duckling Press recueillait des poèmes composés pendant des concerts du saxophoniste Charles Gayle (qui travaille notamment avec William Parker ), chacun des poèmes mentionnant la date et le lieu du concert pendant lequel il avait été imaginé.

Sur le net, on trouve quelques uns de ses poèmes ici.

La Fenice

you are dead now i do not deny this
i have never traveled that far
but for in my mind
i have never been to see you
never groped your loins
never grasped your voice
looking upward i give the hot sky
devil’s horns
my 2 fingers tearing eye
of radiance
as i curse as usual whatever
useless being
got me into this mess
you were hurt so
even the criminal that did this
would not deny
orchestra soloist arsonist
no one could say no to you
even the criminal must have known
your audible personal
song
the internal harmonies
of your perfect acoustic
heart

history is an element made up of smuggled out takes
would that the wood tell all
i am poet who plays the lyre
while seeking the truth of life

you
gypsy violin
leave your tent for awhile
travel across the canal
to the place of birthing
forget your discord & grief
for a moment
pick up your bow
the hot sky turned night
is waiting

Présent sur de nombreux festivals, il n’est pas rare de pouvoir assister à des lectures en musique de Steve Dalachinsky. La dernière fois, c’était au festival Sons dHiver à Paris, lors d’une Tambour-conférence organisée à l’Université Paris-Diderot. Matthew Shipp a joué sur le seul piano disponible pour une poignée de spectateurs (cf photo),  tandis que Dalachinsky lisait son propre livre… Un beau moment de poésie.

* * *

Chez les copains du Z Band, à propos de Jazz & poésie :

Jazz Frisson : Gil Scott-Heron, We Almost Lost Detroit

Ptilou’s Blog : Youn Soun Nah, Avec le temps

JazzOcentre : la Poïélitique de Bernard Lubat

Jazzques : Nicolas Kummert, Voices

Flux Jazz : Michel Potage, Occupé

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Neige rien

Théâtre musical et poétique

Les murs ont encore changé à l’Atelier du Plateau, merveilleuse petite salle de théâtre, de musique et de cirque du XXè arrondissement de Paris : tout blancs et semés de figures géométriques pastel ; c’est un grand « freaking out » qui nous accueille à l’entrée. La scène est presque vide, quelques chaises, une contrebasse couchée. Un gâteau à la carotte et au citron vert plus tard, elle est investie par un violon et deux comédiennes. Claude TchamitchianGuillaume RoyChristine Roillet et Corinne Frimas mettent en musique et en lumières (Marie Bellot) les mots de Valérie RouzeauNeige rien, dans une mise en scène de Michel Froehly. À l’image des poèmes, le spectacle est drôle, touchant, vivant.

Lire la suite sur Citizen Jazz

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« Là où Carmen McRae se souvient à propos de Billie Holiday que « chanter : c’était le seul moment où elle pouvait exprimer ce qu’elle était de la manière qu’elle aurait aimé avoir tout le temps. Le seul moment où elle était à l’aise et en paix avec elle-même, c’était quand elle chantait » (…), certains ne veulent que compatir à une inaptitude tragique (mais grandiose parce qu’elle se passe « sur scène ») à la vie réelle.

Qui leur dit que cette vie réelle n’est pas plutôt du côté de ce que chantait Billie Holiday ? »

Alexandre Pierrepont, Le Champ jazzistique, Parenthèses

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Qu’est-ce que le jazz ? Je ne trouve pas de meilleure définition que celle-ci : le jazz, c’est quand on joue ce qu’on ressent.

JO JONES

in Ecoutez-moi ça !, L’histoire du jazz racontée par ceux qui l’ont faite,

Nat Shapiro et Nat Hentoff

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Philippe Carles et Jean-Louis Comolli ont publié voilà déjà quelques années (1971) une somme sur le jazz et ses rapports avec la politique. À vrai dire, bien plus que des rapports, il s’agit d’une imbrication complexe et fondamentale. Le jazz est politique. Voici un blues qui doit dater du tout début du XXè siècle, c’est-à-dire juste après l’abolition de l’esclavage, au moment de l’explosion industrielle et de la grande vague d’immigration noire vers le Nord des Etats-Unis :

… they’re gonna send me to the old electric chair,

Wonder why they eletrocute a man at the one o’clock hour at night ?

Wonder why they electrocute a man, baby, Lord, at the one o’clock at night ?

The current much stronger, people turn out all the light…

Chanté au pénitencier d’Angola (Louisiane) par Guitar Welch en 1959.

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À l’heure de la dématérialisation de la culture, du téléchargement de masse et de la fragmentation des oeuvres, l’écrivain François Bon crée avec quelques autres (Fred Griot, Arnaud Maïsetti, Pierre Ménard) publie.net, « coopérative d’auteurs pour l’édition et la diffusion numériques de littérature contemporaine », où l’on lit du Jacques Roubaud comme du Leslie Kaplan, qui donne la possibilité de lire les textes gratuitement et/ou de les télécharger à un prix modeste, ou encore de s’abonner à la revue à l’année. S’engageant pour la modernité sans bien savoir où cela va le mener, il couche sur numérique ses pensées dans le tiers livre, dont certaines sont fortement empruntées de musique.

François Bon est connu pour être un des biographes de Bob Dylan et avoir écrit un ouvrage sur Led Zeppelin et un autre sur les Rolling Stones. Si le rock a le privilège de la librairie papier, c’est sur celle du net que l’on trouve des textes sur Vincent Segal, Médéric Collignon ou encore Sylvain Kassap. Toujours admiratif des phrases des musiciens, il prête à chacun d’eux ses mots avec justesse et passion. Je ne sais pas si la musique est un langage, mais avec François Bon, elle a un langage. Silencieux ou sonore. De sa collaboration avec Dominique Pifarély sur scène et sur disque est né Peur, avec François Corneloup, Eric Groleau et Thierry Balasse, un entrelacement de notes et de mots, apportés par l’écrivain.

Tout récemment, François Bon a publié un poème à la contrebasse, à travers celle de Jimmy Garrisson. Envoûtant.

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