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Posts Tagged ‘Bill Frisell’

C’est la rentrée des classes, la rentrée littéraire et la rentrée du jazz, avec le festival Jazz à la Villette, rituel de septembre parisien.

La soirée d’ouverture était américaine, et les Français, pourtant nombreux à être programmés dans le festival, n’ont pas l’honneur de figurer sur l’affiche. Sur celle-ci, le fantôme multicolore du jazz hante la Villette et ses multiples lieux, Cabaret sauvage, Grande Halle, Cité de la Musique…, pour prouver au monde que « Jazz is not dead [it just smells funny] », selon la célèbre formule de Zappa. Cela fait maintenant un certain nombre d’années que Jazz à la Villette a prouvé que le jazz n’était pas mort, en faisant connaître les artistes mais aussi des lieux tels que l’Atelier du Plateau ou la Dynamo de Banlieues Bleues. La programmation est un savant mélange entre prises de risque (légères), mélange des genres et valeurs sûres. Échantillon non représentatif.

Le mélange des genres : l’ONJ et Magma.

Le premier, dont la direction artistique est assurée par Daniel Yvinec, s’échine à produire toutes sortes de relectures de toutes sortes de musique, de Robert Wyatt à Piazzolla en passant par Billie Holiday. Le seul programme original, Shut Up And Dance, a été composé par John Hollenbeck. Le fil conducteur de l’orchestre n’est constitué que par ses musiciens, tous excellents, tous impressionnants, et tous noyés dans la masse.

Le 30 août, c’était le programme Wyatt. Des reprises chantées par Wyatt lui-même mais aussi Yael Naïm, Daniel Darc (argh), Arno, Camille, etc, et arrangées par Vincent Artaud comme une sorte de compromis entre le jazz et la pop/rock. Certainement, quand on aime Wyatt, c’est mieux ; mais je comptais sur l’orchestration pour me convertir. Hélas, outre le fait que les voix étaient enregistrées, ce qui fige considérablement l’ensemble, les solistes, pourtant mis en valeur par un panneau annonceur à chaque début de morceau (bonne idée ? mauvaise idée ?), étaient quasi inaudibles tellement ils étaient couverts par une musique trop compliquée pour ce qu’elle voulait dire. N’arrivant jamais à trancher entre jazz et pop, l’ONJ s’enlise dans une sorte de compromis bâtard où l’on ne comprend pas bien ce que les solos font là si ce n’est qu’ils semblent se porter caution du fait que ceci est bien un orchestre de jazz. À la fin, nous revoilà de plain-pied dans la chanson, et la montagne a accouché d’une souris. On profite bien mieux des merveilleux musiciens qui composent cet orchestre ailleurs, dans leurs propres projets.

Mais la plupart des gens étaient venus écouter Magma. La preuve : le nombre de T-shirts imprimés à l’effigie du groupe qui se baladent dans la salle. Ils veulent des panoplies cuirs de rockers/métalleux, du synthé, de la batterie et des lumières spectaculaires. Spectaculaire en effet que ce groupe soit capable de remplir une salle tant il cultive le ringard et recycle depuis 40 ans les mêmes inventions : le zeuhl, le logo, le chœur féminin, qui donne à l’ensemble des allures de rite incantatoire pour dieu gothico-païen. Le public est venu pour ça, et n’a pas l’air de se soucier outre mesure des opinions néo-nazies du leader Christian Vander. De toute façon, comme disait Woody Allen à propos de Wagner, Magma ça donne envie d’envahir la Pologne.

La valeur sûre : Bill Frisell.

Le lendemain, changement d’ambiance. On rejoint les culs serrés dans la grande salle de la Cité de la Musique, où personne ne bouge ni ne respire. La salle est tellement grande que j’en ai le vertige. Au loin, Bill Frisell a l’air de s’ennuyer ferme à jouer les tubes des Beatles — pardon, de John Lennon, « Imagine » est là pour se porter garante de l’affiche — sans invention aucune ou presque. On se demande bien pourquoi Bill Frisell joue du Lennon pendant tout un concert au lieu de jouer du Bill Frisell : une exposition Lennon en vue peut-être ? Heureusement que le batteur Kenny Wollesen est là pour insuffler un peu d’énergie dans tout ça, parce qu’après « Come Together », « Dear Prudence » et « Sexy Sadie », on a envie de hurler : les Beatles sont très bien là où ils sont, laissez-les tranquille, par pitié !

La prise de risque : Maja Ratkje et Poing + Jeanne Added

Samedi soir, direction la Dynamo de Banlieues Bleues à Pantin. Finie l’usine, bonjour la bière bio. La norvégienne Maja Ratkje chante les chansons de l’avant-garde allemande révolutionnaire des années 30, Brecht, Kurt Weill, Hanns Eisler, en compagnie du groupe revendicatif Poing. Hélas, pas de cabaret punk ici, mais un trio musette accordéon-contrebasse-batterie qui flirte avec le free. Je n’aime ni l’accordéon ni la musette. Maja Ratkje a une présence formidable, et elle donne très envie d’être vue dans d’autres contextes, mais l’ensemble me hérisse les poils. Je préfère largement la relecture de ces thèmes par Das Kapital (Edward Perraud, Hasse Poulsen, Daniel Erdmann), qui joue dans le même festival dimanche prochain, à l’Atelier du Plateau.

Heureusement, Jeanne Added a à nouveau soufflé un vent d’air frais sur la soirée. Je l’ai déjà vue plusieurs fois en solo, aussi m’attendais-je à un concert rôdé et fredonnable, écouté distraitement d’une oreille pendant qu’on sirote sa verveine — pas du tout ! Ça change, ça module, ça varie, ça va à contre-sens et puis ça revient, parfois, quand elle a envie. La voix est toujours au centre, accompagnée d’une basse minimaliste. Marielle Chatain est invitée à la rejoindre au saxophone basse puis au synthé et à la voix : on descend dans les graves avec bonheur, pour atteindre des profondeurs poético-punk. Punk, pas vraiment par le style, mais plus par l’attitude et le dénuement, total et volontaire.

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